lundi 25 janvier 2016

Tout à refaire

Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine

Une comédie de Philippe Lellouche
Mise en scène par Gérard Darmon
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Gérard Darmon (Joseph), Philippe Lellouche (Jean), Ornella Fleury (Claire)


Présentation : Un soir d’été, deux amis de toujours se retrouvent à la terrasse d’un café et se plaignent du temps qui passe. A vivre dans la nostalgie des bons souvenirs, ils s’empêchent de profiter de l’instant présent. La jeune serveuse, qui les écoute, va étrangement leur proposer de remonter le temps. Une expérience incroyable qui va leur permettre de réaliser que vieillir n’est pas si mal….

Mon avis : Philippe Lellouche a encore frappé ! Avec Tout à refaire, il nous a concocté une comédie sentimentale de la meilleure veine. Cette pièce est universelle car elle s’adresse à nous tous. Bien sûr, à l’instar de ses trois précédentes, qui concernaient des quadras, elle est également générationnelle. Mais elle n’est pas que ça. Certes, il faut avoir déjà un certain vécu pour en arriver à cette croisée des chemins où l’on a tendance à faire un petit bilan de sa vie et à regarder dans le rétro. C’est le cas de Joseph et Jean, deux amis, presque deux frères, qui se côtoient depuis près de quarante ans.
Joseph (Gérard Darmon), c’est l’aîné. Il a une dizaine d’années de plus que Jean (Philippe Lellouche). Depuis quelque temps, ils ont coutume de se retrouver dans un bar tabac et de s’y chamailler sous le regard complice et attendri de Claire, la jolie serveuse. Ils se connaissent tellement ces deux là que leur passe-temps favori est de se chambrer. Astuce amusante et dynamique de la mise en scène, lorsqu’ils ont un différend, ils font table à part ! C’est très drôle à voir.


Lorsque la pièce commence, ils ont un petit coup de mou. Un coup de moins bien que Jean analyse avec une certaine lucidité : « Il est un temps où l’amitié ne se nourrit que de souvenirs… ». Soudain, la boisson qu’ils sirotent prend le goût doux-amer de la nostalgie. On sent qu’ils ont tendance à penser fortement que c’était mieux avant et, surtout, en évoquant la valeur inestimable de toutes ces « premières fois » qu’ils ont vécues, ils prennent conscience qu’ils vont en vivre beaucoup moins de ces premières fois qui jalonnent une vie de façon si intense.
C’est là que Claire, témoin attentif de leur mélancolie (Jean va quand même jusqu’à traiter Joseph de « nostalgique compulsif »), va alors prendre les choses en main. Elle va leur proposer de remonter le temps et de revivre quelques moments-clé de leurs existences. Ce n’est pas déflorer le sujet de la pièce que de révéler cet artifice, il est en effet évoqué dans son résumé. De plus, Philippe Lellouche nourrit en lui cet aspect très anglo-saxon de faire appel au surnaturel. Il l’a déjà utilisé avec talent dans Boire, fumer et conduire vite… Or donc, nantie de pouvoirs magiques ; Claire va leur faire effectuer une série de bonds successifs en arrière d’une décennie à chaque fois. Ils vont ainsi pouvoir être re-confrontés à des épisodes majeurs de leur parcours.


Pour nous faciliter la tâche, un écran situé au-dessus de la scène nous indique la date et l’heure du moment revécu. Ces différentes saynètes rétroactives ne peuvent pas se raconter. Tout leur suc réside dans la force des situations et dans l’appropriation des personnages concernés par les comédiens. Car ils ne vont pas toujours ne jouer que leur propre rôle. C’est là que la comédie prend toute sa force, toute sa saveur… Gérard Darmon, tout particulièrement, se prête avec une gourmandise manifeste à toutes les transformations et à tous les accoutrements possibles. Incarner un tel éventail de personnages, pour l’un comme pour l’autre, doit constituer un formidable plaisir d’acteur.
En tout cas nous, dans la salle, nous le partageons ce plaisir. Les quelques expériences qu’ils revivent nous font passer par toute une palette de sentiments. On rit, on est ému, on sourit, on s’offusque… Nous sommes d’autant plus captivés que nous nous sentons concernés. Ce que Jean et Joseph ont vécu, nous l’avons-nous aussi vécu. Il est inévitable de se livrer à notre propre introspection. Ce grand moment de partage et de connivence que nous ressentons est essentiellement dû à l’intelligence et à la sensibilité du sujet, à la justesse des dialogues, et au jeu réaliste des trois comédiens.
Si Gérard Darmon et Philippe Lellouche, à leur meilleur niveau, ne font que nous enchanter, la belle découverte est celle d’Ornella Fleury. Fraîche, lumineuse, naturelle et primesautière, elle donne à Claire, rouage essentiel de cette comédie, une indiscutable authenticité. Elle a une présence qui m’a fait parfois penser à Audrey Hepburn


Dans le traitement de cette pièce, il n’y a rien à refaire. La mise en scène de Gérard Darmon est truffée de trouvailles, d’inventions, de surprises et même d’effets spéciaux qui lui ont sans doute été inspirés par son expérience du cinéma. Il utilise aussi à merveille l’espace qu’offre le superbe écrin du théâtre de la Madeleine. Il est en cela remarquablement aidé par le jeu de lumières de ce magicien de l’éclairage qu’est Jacques Rouveyrollis.
Et puis il y a la fin. Une fin qui, elle aussi et surtout, ne se raconte pas. On ne peut en dire qu’une chose : c’est nous qui sommes refaits par ce dénouement.
Cette pièce profondément humaine est pour moi le cocktail réussi entre une comédie italienne, un conte philosophique oriental et un humour anglo-saxon, un cocktail à consommer sans aucune modération.
Tout à refaire ? Peut-être ou peut-être pas… A chacun de se faire son opinion en fonction de son propre vécu.


Gilbert « Critikator » Jouin

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